vendredi 5 février 2016

Lorsqu’elle referma sa valise...



Lorsqu’elle referma sa valise, elle était persuadée que sa vie allait changer. Ce qu’elle ignorait, c’est qu’on l’observait…

Elle avait tout préparé. Les vêtements d'hiver et les vêtements d'été, les affaires de toilette et la trousse de premier soins, l'indispensable matériel pour écrire et la peinture aussi, en se disant que, là-bas, elle aurait enfin du temps pour s'y essayer.

La préparation du voyage avait été laborieuse mais, dans le même temps, un beau défi à relever. Un vrai parcours du combattant, constitué de démarches et de prises de décisions. Un premier pas dans sa vie d'adulte, et le pâle reflet de tout ce qu'elle avait eu à entreprendre par la suite.

En passant la porte pour le grand départ, elle savait que, lors de son retour dans cet appartement, programmé pour l'année suivante, rien ne serait plus jamais comme avant. C'était une page de sa vie qu'elle tournait et elle n'avait qu'une hâte : de commencer à vivre sa nouvelle vie.

Elle était partie et n'était revenue que brièvement, à une ou deux reprises, parmi les siens. Une première fois pour les Fêtes, dans la maison de vacances, et non dans cet appartement ; une visite éclair ensuite, pour accueillir le nouveau-né de la famille ; puis quelques jours en été, histoire de se montrer.

Quand elle était revenue dans l'appartement parisien, un an après, ça n'avait été qu'une façon de se prouver à elle-même que sa décision de vouloir quitter définitivement « tout ça » était bien la bonne.

Et cette décision, celle qui l'observait dans l'appartement de Paris, le jour où elle avait fait sa valise, un an plus tôt, ne pouvait pas la lui pardonner. Celle qui l'observait avait bien compris que ce départ serait irrémédiable et sans retour. Elle sentait que les longues heures passées ensemble à se câliner allaient disparaître à jamais.

Dans la maisonnée, tout le monde faisait comme si de rien n'était et continuait de vaquer à ses occupations, sans montrer la moindre émotion ou faire la moindre allusion au départ imminent, mais pas elle. Le jour où la valise était apparue, qu'elle s'était remplie peu à peu de choses et d'autres, et qu'elle avait commencé à comprendre ce qui se tramait, elle s'était sentie abandonnée, trahie et perdue. Alors, pour se venger, elle avait pris le parti de se terrer dans son coin, histoire d'exprimer sa désapprobation, et peut-être espérant un peu d'attention de la part de celle qu'elle appréciait le plus dans la maisonnée, puisqu'il paraissait évident qu'elle ne pourrait la faire revenir sur sa décision.

Lors de son retour dans l'appartement, celle qui avait quitté le foyer un an plus tôt, s'attendait à un accueil chaleureux, peut-être pas de la part de tout le monde, mais au moins d'elle. Mais il n'en fût rien. On dit souvent que le chien est le meilleur ami de l'homme, mais on n'oublie de dire que le chat est le plus rancunier des animaux de compagnie. Mademoiselle Croquette l'ignora superbement pendant le mois qu'elle passa sur place avant de repartir vers de nouveaux horizons. Elle eut beau la cajoler, lui servir ses mets préférés, la prendre sur ses genoux près du radiateur, comme au bon vieux temps, rien n'y fit. Elle était tout bonnement devenue transparente à ses yeux. Et, au fil des années, malgré tous les efforts déployés à chaque nouvelle occasion, la chatte resta totalement de marbre à toutes ses avances.

Mademoiselle Croquette, si tu m'entends de là-haut, sache que j'ai été bien punie et que je m'en veux terriblement de ne pas avoir pu retrouver notre complicité de nos jeunes années.

Bernard Werber a dit : « Les chiens voient que les hommes leur donnent à manger, donc ils pensent que les hommes sont leurs dieux. Les chats voient que les hommes leur donnent à manger, donc ils pensent que les chats sont leurs dieux. »

J'espère que Mademoiselle Croquette n'a souffert de mon départ que dans les premiers temps et que la froideur qu'elle m'a manifesté par la suite n'était plus qu'une vieille habitude sur la fin.

Ce récit à la troisième personne est ma participation au défi d'écriture d'Agoaye (cliquer sur le lien ci-dessous pour en savoir plus et découvrir les participations des autres blogueurs). J'y raconte un événement de ma vie réelle, qui s'est produit quand, à 18 ans, j'ai quitté la maison familiale pour aller passer un an à Barcelone.

Alors que Mademoiselle Croquette s'entendait à merveille avec moi, qui était la plus douce et la plus calme de la famille, elle m'a littéralement tourné le dos en vrai à partir du moment où je suis partie de la maison. J'ai toujours gardé comme un goût d'inachevé en moi, comme une relation amoureuse qui aurait pu se concrétiser mais qui n'a jamais vraiment pu exister...